Introduction au dadaïsme

Durant les premières années de la guerre de 14-18, émergea un nouveau mouvement artistique, intellectuel et littéraire qui allait devenir international: le dadaïsme ou dada. Ce nouveau mouvement cherchait à provoquer la rupture avec les contraintes sociales, conventions idéologiques, esthétiques et morales ainsi qu’avec les formes d’expression de l’époque.

Les artistes voulaient se libérer de toutes les tutelles, y compris celles de la raison. Il faut dire aussi qu’avec la Première Guerre mondiale, l’ambiance était lourde. Avec une Europe déchirée et un nombre de morts qui ne faisait qu’augmenter, laissant d’innombrables familles en deuil.

C’est donc dès 1915 qu’un groupe commença à se créer. Il réunissait des artistes (comme Taeuber, Ritcher, Arp) et des poètes (Tzara, Ball, Huelsenbeck). Ces jeunes personnes, « refusant la boucherie de la guerre et l’esprit guerrier », se retrouvaient au Cabaret Voltaire (Zurich, Suisse) inauguré en 1916 (marquant du même coup la naissance du mouvement dada).

Véritable plaque tournante du dadaïsme, ce lieu permit l’organisation de soirées consacrées à de nouvelles formes d’art et de poésie. Mais offrit également la possibilité de faire des recherches pour une expression libérée des obligations de sens et de logique. Ainsi, Huelsenbeck et Ball proposèrent une nouvelle langue basée sur des onomatopées et des évènements incohérents. De leur côté, Janco et Arp se mirent à élaborer des collages abstraits.

L’art de l’absurde pour une époque absurde

Face à l’absurdité de la guerre et pour lancer un nouvel espoir, les dadaïstes misèrent donc sur un art léger et divertissant. Et pour renforcer cette opposition à la guerre, l’absurde devint un outil et chaque artiste devait l’utiliser dans son œuvre. Anticonformiste, le dadaïsme refusa alors l’ordre établi et revint à un art élémentaire.

Machine à transformer rapidement, Francis Picabia, 1916
Machine à transformer rapidement, Francis Picabia, 1916

Sans véritable style propre, le dadaïsme était surtout un état d’esprit, une manière de penser et enfin une volonté de changer les mentalités qui ont mené à cette guerre. Quand le mouvement est né, le groupe de ces débuts était composé de jeunes motivés à l’idée de faire avancer le monde.

Il s’agissait surtout de pacifistes convaincus en une période de guerre et dans un pays neutre. Un pacifisme affiché bien que ce mouvement fût destructeur dans sa volonté de se défaire de l’ambiance géopolitique internationale lourde et de faire table rase de toute loi formelle et de toute règle, aussi bien dans les arts que dans la littérature.

Dada se caractérisait par :

  • un esprit contestataire,
  • une manipulation des conventions,
  • un rejet de la logique,
  • un art engagé,
  • une extravagance marquée,
  • une dérision méprisant totalement « l’art passé ».
Œuvre intitulée Caisse enregistreuse de Amadeo de Souza Cardoso
Caisse enregistreuse, Amadeo de Souza Cardoso, 1917

Une liberté d’expression totale

Les membres du mouvement voulaient jouir de la plus grande liberté d’expression possible. Et pour cela, ils utilisaient tous les matériaux disponibles, y compris les plus communs ou sans rapport habituel avec l’art (comme du sable basique). Ils  voulaient faire réagir le spectateur et le pousser à méditer sur la société même s’il ne comprenait pas l’œuvre devant lui. Les artistes dadas cherchaient aussi la liberté dans le langage qu’ils cherchaient à rendre exalté, musical et hétéroclite.

Le nom « dada » n’avait aucune signification particulière, mais se voulait être un pied de nez à la guerre, encore une fois. Le nom aurait été trouvé par hasard dans le dictionnaire et il fut gardé.

L’absurde combattant l’absurde.

Œuvre intitulée L’Œil cacodylate de Francis Picabia
L’Œil cacodylate, Francis Picabia, 1921

Le dadaïsme représente un lien entre la mort du grand poète Apollinaire (1918) et le manifeste du surréalisme (1922). Une volonté d’esprit nouveau dans laquelle s’inscrivait déjà Rimbaud au 19e siècle et qu’avait reprise Apollinaire.

Dada, c’est aussi la fin du romantisme, ce dernier ayant pesé durant tout le 19e siècle. Qu’il s’agisse de poèmes ou de peintures, on ne retrouve plus aucune trace de romantisme dans les créations dadaïstes.

Le dadaïsme et l’absurde

Rapidement, ce mouvement se trouva un chef de file en la personne de Tristan Tzara. En plus du roumain, cet écrivain parlait le français et l’allemand, ce qui lui permettait de jouir d’une importante culture européenne d’avant 1914. D’ailleurs, le dadaïsme avait aussi pour but de continuer le brassage de la culture européenne qui fut stoppé par la guerre. C’est pour cela qu’étaient rassemblés dans le cabaret Voltaire des peintres, des photographes, des musiciens et danseurs, des écrivains, des acteurs… etc.

Dans ce « chaos », tous ces artistes se croisaient. Et comme pour remettre un peu d’ordre dans tout ça, Tzara proposa une méthodologie pour écrire des poèmes dadaïstes.

Pour faire un poème dadaïste

Prenez un journal

Prenez des ciseaux

Choisissez dans ce journal un article ayant

la longueur que vous comptez donner à votre poème.

Découpez l’article.

Découpez ensuite avec soin chacun des mots

qui forment cet article et mettez-les dans un sac.

Agitez doucement.

Sortez ensuite chaque coupure l’une

après l’autre dans l’ordre où elles ont quitté le sac.

Copiez consciencieusement.

Le poème vous ressemblera.

Et vous voici un écrivain infiniment original et d’une

sensibilité charmante, encore qu’incomprise du vulgaire.

Tristan Tzara

 

Technique cadrée reposant malgré tout sur le hasard et l’absurde, comme pour d’autres œuvres d’ailleurs. Le hasard étant aussi une notion importante pour Dada. C’est dans cet esprit que Arp créa en 1916 une série de collages sans titre que l’on nommera plus tard « Collages selon les lois du hasard », dont on peut voir ici un exemple.

collage sans titre de Jean Arp
Jean Arp, collage sans titre, 1916

Les collages de ces créations rappellent ceux des cubistes exécutés plus tôt dans d’autres intentions. D’un point de vue général, la peinture dada se situe entre ces collages cubistes et les compositions surréalistes.

Œuvre intitulée Undbild de Kurt Schwitters
Kurt Schwitters, Undbild, 1919

Figure centrale du dadaïsme

Né en 1896 en Roumanie, Tristan Tzara cumulait les casquettes: poète, essayiste, journaliste, performeur, critique, compositeur… etc. … mais il fut surtout connu pour être l’un des fondateurs et piliers du mouvement dada.

Il est d’ailleurs souvent associé au côté nihiliste du dadaïsme étant donné que dans ses manifestes, il prônait la destruction totale des bases de la société afin d’en créer une nouvelle se basant sur la culture dada.

Tzara arriva à Zurich en 1915 afin d’y étudier la philosophie. C’est alors qu’il rencontra, au Cabaret Voltaire, Hugo Ball avec qui il fonda le dadaïsme. Bien que ce dernier fût popularisé par Duchamp et Picabia, Tzara contribua aussi  à la promotion du mouvement en participant à de nombreuses représentations spontanées dans lesquelles il lisait ses poèmes. Il fut aussi éditeur en chef de la revue Dada qui présentait les idées du mouvement, ses évolutions et les artistes membres. En 1918, l’internationalisation du mouvement fut rendue possible lorsqu’il prononça le premier manifeste dada.

Dans les années 1920, Tzara rencontra Breton à Paris et une amitié naquit rapidement entre les deux hommes. Cela dit, Breton se lassa vite du dadaïsme et une scission se créa entre les deux amis. Tzara étant opposé à la tendance que voulaient faire prendre Breton et Picabia au dadaïsme. La pièce de théâtre « le Cœur à gaz » fut considérée par certains critiques comme le point culminant du mouvement, mais aussi comme le début d’un déclin fatal.

Œuvre intitulée « Je revois en souvenir ma chère Udnie » de Francis Picabia
« Je revois en souvenir ma chère Udnie », Francis Picabia, 1913-14

L’internationalisation du dadaïsme

Rapidement, le mouvement dada s’étendit en Europe et même au-delà, la philosophie du mouvement ne laissant aucune personne indifférente.

Dada arriva à New York en 1915. Un groupe similaire à celui de Zurich émergea alors, composé d’artistes ayant fui la guerre en Europe et de poètes et artistes américains. Duchamp et Picabia y semèrent les idées d’une révolution artistique, menant plus tard au Pop Art et au conceptualisme. Duchamp fit figure de précurseur du mouvement dada américain en refusant l’esthétisme afin de créer des objets usuels qu’il éleva au rang d’œuvres d’art. Il les baptisa « Ready-made ».

Exemples de Ready-made de Duchamp
Exemples de Ready-made de Duchamp

Les Dadaïstes se mêlèrent immédiatement aux artistes d’avant-garde américains, dont Man Ray, qui allait rejoindre plus tard le surréalisme d’André Breton. Picabia, Duchamp et Ray s’installèrent donc à New York. Mais, malgré de nombreuses expositions et la création d’une revue, ils considérèrent que les États-Unis et Dadaïsme n’étaient pas faits pour cohabiter (tout du moins à New York). Ils décidèrent alors de retourner sur le vieux continent.

Cependant, d’autres artistes, comme Tice et Wood, continuèrent de faire vivre dada sur ce territoire en donnant un aspect plus érotique au mouvement. Clara Tice, notamment, revisita les Fables de la Fontaine en remplaçant les animaux par des femmes nues. Une idée qui ne fut pas franchement bien reçue par le public américain et l’œuvre fut confisquée par les autorités. Malgré tout, il s’agit d’une période significative en matière de libération de la femme dans le monde artistique.

Les artistes féminines commençaient alors à obtenir une certaine reconnaissance dans la peinture, la danse… À partir de 1920, le meneur Tzara désigna des « Dada’s girls ». Ces jeunes femmes libres et insouciantes étaient comme des ambassadrices du Dadaïsme. Par leur originalité et leur anticonformisme, ces femmes ne laissaient personne indifférent.

Le dadaïsme en Europe

En Europe, plus précisément en Allemagne, le dadaïsme connut deux visages: l’un politique (comme avec Höch dont l’œuvre fut politique et féministe) et l’autre uniquement « esthétique ». Arp et Ernst rencontrèrent même un fort succès. Le mouvement était présent dans 3 villes allemandes : Berlin, Cologne et Hanovre.

Entre 1919 et 1923, Dada s’établit à Paris. Le dadaïsme était à son apogée en tant que mouvement et comptait toujours dans ses rangs des artistes comme Tzara, Ray, Picabia. Le jeune écrivain André Breton les rejoignit et encouragea le mouvement. Mais par la suite, comme nous l’avons vu dans la fiche précédente, il s’en éloigna pour mener ses propres expériences et finir par créer le surréalisme.

En tant que mouvement, Dada ne se livra qu’à une critique négative. Son but n’était pas la création d’œuvres d’Art au sens traditionnel, mais était plutôt d’apporter un scepticisme destructeur et un cynisme du doute sur tout ce qui était honoré. Les évènements internationaux favorisèrent aussi l’ascension de ce mouvement qui devint une tribune où chacun pouvait protester à sa façon (par le comportement, la façon de penser ou par une production plastique).

Photo de Hans Arp, Tristan Tzara et Max Ernst
Hans Arp, Tristan Tzara et Max Ernst en 1921

La fin du mouvement dada

En tant que mouvement utilisant l’absurde comme outil, sa fin  se devait d’être originale. Le dadaïsme ne sembla pas connaître de fin véritable et les avis sur le sujet divergent et se contredisent.

Néanmoins, on peut retenir une date en particulier: 1921. Dès les premiers mois de l’année, le mouvement sembla perdre de sa force et même ses plus ardents défenseurs déclarèrent: que « Dada tourne en rond ». La presse belge annonça même la mort du mouvement et Breton se positionna contre le renouvellement du dadaïsme.

Toujours en 1921, le mouvement dada annonça dans la presse qu’il comptait organiser un procès fictif contre l’écrivain nationaliste antidreyfusard Maurice Barrès ainsi que contre son œuvre. Il l’inculpa pour « atteinte à la sûreté de l’esprit ». Ce procès fut l’idée de Breton et d’Aragon: le premier joua le rôle du président du tribunal quand le second s’occupa de la défense lors de cette performance théâtrale. D’un côté, les dadaïstes purs entretenant une réelle animosité contre Barrès et de l’autre, Aragon et Breton, l’estimant beaucoup plus.

Ce procès fictif n’eut pas le succès espéré. La reconstitution du procès se fit à l’identique. Les Dadas voyaient les tribunaux comme l’institution garante des inégalités et en les imitant (trop?) fidèlement, les artistes du mouvement retournèrent le jugement contre eux. Des désaccords majeurs entre dadas surgirent alors et les fondateurs du mouvement, dont Tzara, réaffirmèrent leur haine de la justice des hommes (même si ce procès était fictif et organisé par des dadaïstes). Tzara quitta le « tribunal » et signa la séparation entre surréalisme et dadaïsme, mettant fin du même coup au mouvement dada.

Cette soirée fut la dernière manifestation dadaïste à Paris. Ainsi, il semble que le mouvement dada se soit éteint progressivement entre 1920 et 1925.

Œuvre intitulée LHOOQ Joconde avec moustache de Marcel Duchamp
Marcel Duchamp, LHOOQ Joconde avec moustache, 1930

L’héritage du dadaïsme

Au final, en rejetant notamment les traditions, dada contribua au travers de sa fougue, à créer de nouvelles formes artistiques issues du subconscient, et à véritablement révéler les signes précurseurs du surréalisme qui allait suivre avec Breton.

Le dadaïsme reste, à ce jour, une source d’inspiration pour les artistes et les penseurs qui cherchent à contester l’ordre établi.

Notre prochaine fiche sera consacrée à Claude Monet.

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